En 2018, j’ai été invitée par David Audouit du service culturel de la mairie de Niort à concevoir une exposition de machinimas, films conçus à partir de moteurs de jeu vidéo. Pour cette exposition intitulée Imaginaires Jeux, j’ai sélectionné des vidéos réalisées dans GTA comme Martin Pleure de Jonathan Vinel, avec un fort travail d’écriture autour d’un personnage qui se retrouve seul dans l’univers de GTA, à la recherche de ceux qu’il aime et qu’il a perdus. Il y avait aussi une vidéo conçue par Antoine Gilet, Arrière Monde, lors d’un atelier « Games as colors on canvas » que j’avais animé à l’école d’art de Mons l’année précédente. Pour ce film, l’étudiant avait juste utilisé la fonction du zoom de la caméra pour zoomer et dézoomer à l’infini des images issues du jeu Valve Team Fortress dans Source Film Maker.
Je présentais aussi aussi deux vidéos réalisées pour le spectacle Cross by que j’ai co-conçu avec la pianiste Nathalie Négro. Ces deux vidéos, dans des tons de bleu, l’une représentant un homme en train de traverser la mer indéfiniment, et la seconde, une chaine de montagnes bleues, elles-aussi parcourues par cet homme faisaient écho à la migration.
silent sea from isabelle arvers on Vimeo.
Accueillie à l’Espace Grapelli de Niort, cette exposition m’a permis de me faire connaître dans les Deux Sèvres et quelques temps après, j’étais contactée par la Région Nouvelle Aquitaine pour me proposer une résidence d’artiste longue durée.
Cette résidence de quatre mois comprenait une partie éducation artistique avec l’animation d’ateliers en lycées, ainsi qu’une partie création avec une restitution en fin de résidence au Cinéma d’art et d’essai le Méliès. J’allais être nourrie et logée dans un lycée agricole. Après plusieurs réunions skype de calage avec les équipes pédagogiques des différents lycées, j’ai été accueillie au Lycée agricole de Melle en décembre 2018. A mon arrivée, l’accueil a été des plus chaleureux par Marilyn Rousseau et Slimane Zediallal. Mon appartement, meublé par les soins de toute l’équipe mais surtout par les chaleureuses attentions de Marilyn, m’a tout de suite beaucoup plu et je m’y suis immédiatement sentie bien. J’ai d’ailleurs apprécié énormément cette petite ville que je découvrais entièrement. Ses parcours boisés, son arborétum à deux pas du lycée. Le Café du Boulevard connu de toutes et de tous, la vie associative et culturelle riche pour une aussi petite ville, les concerts, les soirées salsa, le bal qui pique, le marché… et surtout des personnes formidables que je garde à présent dans mon coeur.
Je me suis sentie tellement bien que je me suis très rapidement mise à créer. La première semaine a été dédiée à l’animation d’ateliers auprès des 3è du lycée agricole Jean Bujault le matin et des 1ères option arts visuels l’après-midi. Les deux groupes étaient très différents mais très sympathiques, je garde un bon souvenir de chacun des élèves et ai même repéré une élève prometteuse en 1ère arts visuels, qui, je l’espère continuera à faire des films, car elle a un œil et sait manier la caméra virtuelle.
Le sujet « Mon lycée du futur » a donné naissance a des films aux sujets variés, mais assez souvent un peu sombres : vidéo-surveillance, terrorisme, incendies, clonage, attentats, harcèlement… J’ai ensuite enchainé avec un atelier d’une semaine avec des élèves de Terminale Bac pro vente du lycée professionnel J.F Cail à Chef-Boutonne. Les élèves moins nombreux ont là révélé des talents de conception de décors très poussés et pour l’un d’entre eux, un vrai talent d’écriture scénaristique.
Là encore, je l’ai encouragé à utiliser ce talent, en espérant qu’il le fasse… Ensuite, contexte à nouveau différent, j’ai été accueillie par le Lycée de la Venise Verte à Niort, lycée généraliste assez important qui possède un espace 3C avec de nombreux équipements informatiques et audiovisuels (fond vert, banc de montage, écrans plasma, tablettes, etc.). J’ai travaillé avec des étudiants en 1ère année de BTS Informatique qui ont pas mal travaillé en équipe et ont pu profiter des moyens techniques mis à leur disposition, en particulier le fond vert. Cela a permis de concevoir des films mêlant scènes réelles filmées incrustées ensuite dans des séquences de jeu vidéo. Un des films a même intégré des éléments du moteur de jeu Unity, grâce aux connaissances d’Alexis Nguyen, qui avait auparavant suivi un cursus de game studies.
En découvrant ce travail, je lui ai alors proposé de travailler avec moi sur un projet de mer virtuelle, en utilisant le moteur de jeu Unity et un casque de Réalité virtuelle afin de pouvoir expérimenter un espace en 3D. Nous avons eu deux ou trois séances de travail qui nous ont permis de réaliser un premier prototype de mer de couleurs dans laquelle se « baigner » virtuellement. Pour le son, je suis allée sur l’île d’Aix, qui est une île sans voiture, ce qui m’a donné l’occasion de faire des enregistrements de mers et de vagues sans trop de pollution sonore.
VR Mer, 2019 from isabelle arvers on Vimeo.
La résidence prévoyait en plus de la partie éducation artistique et découverte du numérique pour les lycéens, une dimension création. Ne connaissant pas la région avant d’y être accueillie, j’avais principalement entendu parler du Marais Poitevin. Lorsque j’ai vraiment été sur place, j’ai compris que le Marais était un peu plus au nord de Melle mais j’ai cependant gardé l’idée de travailler en lien avec le Marais. Ayant lu auparavant un livre qui m’avait beaucoup frappé – Caliban ou la sorcière de Silvia Federici – j’ai eu envie d’utiliser ce temps de résidence pour concevoir un projet mêlant animation 3D et vidéos et sons du marais et suis partie à la recherche d’histoires de sorcières.
J’ai d’abord enquêté dans la région pour savoir si il existait des histoires de sorcières en lien avec le Marais, mais à part les légendes de la fée Mélusine ou de mains rouges sortant du marais, je n’ai pas entendu à proprement parler d’histoires de sorcières. Je ne cherchais pas des légendes mais plutôt des histoires de femmes, vivant seules et ayant été « prises » pour des sorcières, parce que peut-être elle savaient soigner ou qu’elles vivaient seules mais de manière autonome, des histoires de chasse aux sorcières… Je n’en ai pas trouvé. Je ne suis peut-être pas restée assez longtemps mais il m’a semblé que le lieu ne s’y prêtait pas. Un début d’explication s’est présenté lorsque j’ai visité le Marais en barque, accompagnée d’un guide batelier.
Sorcières (extrait), video, animation 3D, Isabelle Arvers, 2019 from isabelle arvers on Vimeo.
Lorsqu’il m’a demandé si ce que je découvrais ressemblait à ce à quoi je m’attendais, j’ai répondu que je pensais voir « de l’eau et de la nature »… au-delà du non sens de ma réponse, j’ai alors réalisé que je ne m’attendais pas à voir une nature aussi domestiquée par l’homme que le marais. Je ne pensais pas voir des lignes d’arbres et de canaux. Grâce à cette première balade, j’ai compris que le marais était un des plus beaux exemples de nature domestiquée par l’homme pour pouvoir exploiter cette nature et en vivre.
Et puis, un jour, lors de mon atelier à la Venise verte, Samuel Bourreau m’a donné le contact d’un conteur. Lorsque je l’ai appelé celui-ci m’a parlé de la dormeuse de Chaix, une femme qui vivait au début du siècle dernier et qui avait des dons de médium. Je suis allée rencontrer ce conteur qui m’a fait visiter le Marais asséché, m’a chanté une chanson qu’il avait conçue au sujet de la dormeuse : Léontine, celle qui pouvait retrouver n’importe quel objet perdu ou soigner en s’endormant sur un petit oreiller. J’ai alors voulu retrouver sa trace, aller là où elle avait vécu, j’ai même retrouvé sa petite-fille et puis la source d’information s’est tarie. Je n’ai pas réussi à en découvrir plus. Lorsque je suis allée là où elle avait vécu, deux sculpture de chats ornaient le toit de la maison. Au même moment je lisais « Sorcières, la puissance invaincue des femmes » de Mona Cholet qui explique les similitudes entre les femmes qu’on a taxé de sorcières à la fin du moyen-âge et les femmes qui vivent seules aujourd’hui, sans enfants, de plus de 40 ans et qui parfois ont des chats. Dans son livre Mona Cholet explique qu’autrefois, on appelait le chat des sorcières les « précieux ». Pas loin de Chaix, j’ai aussi découvert un village où les légendes de shabat et de fers à cheval de sorciers semblaient faire partie du « storytelling » du village. Mais rien qui puisse se rapprocher de ce dont j’avais envie de parler.
Le fait de découvrir le marais en hiver a été une chance pour moi, car même si j’ai pu en apprécier la beauté au printemps, les branches noueuses des frênes têtards dont les racines retiennent les berges, en hiver se reflétant dans l’eau étaient le cadre parfait pour mes images… J’ai adoré faire des prises de vue de ces branches se reflétant à l’envers dans l’eau et donnant une dimension très étrange à cette nature finalement si civilisée. Il n’y avait pas d’histoires de sorcières alors j’ai essayé de faire « sortir » la sorcière du marais, par les images. Le marais est devenu le personnage principal, avec une sorcière en toile de fond, que j’ai alors créée de toutes pièces en 3D. Pour que le marais et ses habitants, les arbres, les oiseaux, le vent et les sons de l’eau brassée par les barques, puisse rester au devant de la scène, je me suis enregistrée en chuchotant des textes, influencés par les lectures du moment : Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estes, Sorcières de Mona Chollet, Les mots, la mort, les sorts de Jeanne Favret Saada, etc. et surtout par mon envie de plus en plus pressante de dire l’importance de se libérer de tous les jougs : capitalistes, patriarcaux, politiques, etc.
Pendant cette résidence, j’ai aussi beaucoup travaillé à ma série de mers abstraites qui ont été exposées à Vidéoformes à Clermont-ferrand en Auvergne sous forme d’installation avec une création sonore conçue pour l’occasion par Alexandre Ollivier, mais aussi projetées sous forme de Vjaying au Mucem, sur la musique de Mike Theis et d’Eva Peel pour la nuit vernie On danse ?
mer violette from isabelle arvers on Vimeo.
Et que j’ai enfin exposée sous forme d’installation vidéo et son à Melle lors de la restitution de résidence au cinéma le Méliès.
Cela a donc été une résidence très productive et instructive. Le fait d’être nourrie logée pendant 4 mois m’a aussi permis de donner vie à une idée qui a ainsi pu germer et devenir possible : laisser ma maison, mettre mes affaires dans un box et décider de partir faire un tour du monde art et jeu vidéo. Cette résidence finance en effet une grande partie de ce voyage et je n’aurais sûrement pas eu cette idée si je n’avais pas eu la possibilité de vivre ainsi dans les Deux Sèvres… Je remercie ici toute l’équipe des différents lycées qui m’ont accueillie, ainsi que le Fablab de Melle où j’ai aussi animé un atelier et même fabriqué les tee-shirts à l’effigie de mon tour du monde art et jeu vidéo. Cela m’a permis de découvrir le travail formidable des Référents jeunesse – auparavant appelés animateurs culturels – qui organisent des événements dans les lycées et accompagnent la création. Yannick Wast, référent culturel, et Slimane Zedallial organisent par exemple Musiqolycée depuis de nombreuses années… J’ai aussi eu la chance de rencontrer des personnes formidables Louiz et Claire qui, entre autres, animent le village parallèle du FLIP, le Festival de jeux de Parthenay. A très bientôt Melle ! #ilovemelle for ever;)
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